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Loi de Murphy - Partie 1

Photo du rédacteur: Florence ClémenteFlorence Clémente

Il y a des jours où un rien m’émerveille. Dès le lever du soleil, mon humeur sautille de joie comme une enfant sautant de flaque d’eau en flaque d’eau. J’ai de la musique dans la tête toute la journée […] Because I’m happy […]. Peu importe ce qui se passe dans le monde, je m’en fou, je suis dans « La petite maison dans la prairie ».

Le gallinacé à crête rouge de ma voisine qui toutes les cinq minutes, coquerique, a des intonations de Pavarotti. Je salue mon autre voisin avec un large sourire, alors qu’il démarre simultanément, débroussailleuse et taille-haie et que je m’apprête à lire paisiblement sur mon transat. À la caisse du supermarché, un caddie prêt à exploser entre les mains, je laisse passer devant moi un ado muni d’une cannette et d’un sandwiche, un monsieur avec un paquet de piles. Je reste aussi sereine qu’un moine bouddhiste, au volant de ma voiture, sans hurler comme une hystérique des insultes abominables à l’encontre d’une petite vieille qui roule à deux à l’heure. Dans ma tête fée sourire, fée bienveillance et fée zénitude sont en totale harmonie. Mes tâches et corvées quotidiennes ont un côté ludique et je me satisfais en les exécutant comme si c’était la première fois.


Ces jours-là, la vie me semble limpide et légère.


Et puis il y a ces autres jours qui sont d’authentiques journées de merde.


Je n’ai pas encore ouvert un œil que mes pensées ont déjà basculé du côté obscur. Le spleen a chassé les bonnes fées de la veille. Une humeur maussade m’a envahi.

Cet état provoque presque à chaque fois une série d’événements, tous aussi chiants les uns que les autres. Cela débute souvent en pleine nuit. Je me lève le plus délicatement possible. Je clique sur mon mobile qui émet une lueur pâlotte afin que je puisse me déplacer, mais le traître s’éteint ! Je vacille et je me rattrape au mur que je sais devant moi, sauf que ma main écrase l’interrupteur ! Un jet brutal de lumière blanche s’abat sur le lit où dort profondément mon mari. Je presse aussi sec l’interrupteur en étouffant un énorme juron. Agacée, je fais un rapide aller-retour aux toilettes puis j’ondule d’un pas ouaté en direction de la chambre. N’osant pas rallumer mon mobile, je me dirige à tâtons, mais je heurte violemment un putain de pied de lit qui ne devrait pas être là, avec mon petit orteil, le plus fragile, celui que je me suis cassé il y a quelques années. Cette fois, je ne peux contenir le cri de douleur qui s’ensuit. Je serre les dents. Me recouche. Mon mari n’a pas bougé d’un millimètre.


Au petit matin, quand mon téléphone vibre, j’ai l’impression de sortir d’anesthésie générale. Je m’extirpe du lit et je me traîne, plus que je marche, la tête dans le brouillard. Je me sens comme une tortue, une grosse tortue de cent cinquante ans, aussi lourde et lente, avec l’envie profonde de rentrer dans ma carapace et de ne plus en ressortir avant des heures. Ma fougueuse ardeur de la veille a sombré dans un marécage. J’ai le cerveau si enfumé que je ne fais pas la différence entre les deux paquets de lingettes de la même couleur vert menthe, rangées dans le panier à côté des rouleaux de PQ. Bien évidemment, je ne saisis pas le paquet idoine pour ma petite toilette ; horrifiée quand le parfum qui s’en dégage arrive jusqu’à mes narines. Je me jette sous la douche à moitié en pyjama pour me rincer avant que se déclenche une allergie monstrueuse car j'ai la peau d'un blanc « Jacob Delafon » aussi fragile qu’un nouveau-né. Mécontente, je vais enfiler un t-shirt et un jogging. Je ne prends jamais mon petit-déjeuner, habillée, car je suis du genre à m’envoyer du café sur le chemisier.

Au moment où j’ouvre les volets, le cri strident du coq d’en face, me vrille les tympans comme une perceuse. La voix du petit ténor bressan me fait l’effet de la roulette du dentiste et me prend une envie subite de coq au vin puis aussitôt des images de « Massacre à la tronçonneuse » m’assaillent le cerveau quand j’entends mon voisin qui démarre sa tondeuse autoportée dont le ronflement du moteur est comparable au décollage d’un Rafale. Les bruits m’agressent, la lumière m’aveugle, l’air que je respire est aussi dense qu’un nuage de cendre. Au lieu de me réjouir, l’exceptionnel soleil printanier vient me rappeler que mes vitres sont dégueulasses et mes rideaux sales. Il y a des jours où un rien m’emmerde alors que je viens juste de me lever et je ne sais pas pourquoi.

Les festivités se poursuivent avec le petit-déjeuner. Je prépare mon café en oubliant la pastille. Ma Senseo me sert une tasse d’eau chaude avec un jus jaunâtre qui ressemble à de l’urine. Mon mari me demande si je me suis bien amusée cette nuit. Lui, bien moins que moi semble-t-il parce qu’il a eu un mal fou à se rendormir. Tu m’étonnes. Quand tu dors sur le dos et que d’un coup, tu prends l’équivalent du rayonnement de Tchernobyl en pleine gueule, ça te réveille ou alors c’est que tu es soit bourré soit dans le coma voire tout à fait mort. Il rigole. Moi non. J’ai l’humour en berne. Pas envie de rire et encore moins quand j’ouvre le réfrigérateur pour attraper le pot de confiture de fraises et que seul le bouchon se cale sagement dans ma main alors que le reste du pot s’écrase comme une bouse sur mes pantoufles en faux poils de lapin blanc. Des grossièretés que je ne connaissais même pas surgissent de mon larynx dans un tel désordre qu’on me croirait possédée. À ce moment précis, je me maudis, j’en veux à tous les pots de confitures et à tous ceux qui ne sont pas capables de les refermer. Un violent accès de rage me fait balancer mes jolis chaussons rouges et blancs à la poubelle. Mon mari imperturbable me jette tout de même — il semblerait que ce ne soit pas ta journée — sans blague ! J’arrive tout de même à m’asseoir pour prendre mon petit-déjeuner et quand ma tartine tombe du bon côté sur le tapis en fibre de coco, je me dis que cette once de chance va peut-être changer le cours de ma journée. J’esquisse un sourire peu convaincu.


Quand ça démarre comme ça et à fortiori dès la nuit qui précède, on se dit que forcément la journée va être pourrie et qu’on ferait mieux de retourner se coucher. Je le sais, je l’affirme et le confirme, la journée va effectivement être pourrie. Il faut impérativement retourner dans son lit et ne plus en sortir avant des heures, voire jusqu’au soir, et surtout ne touchez à rien. Mon mari part travailler et m’abandonne, irritée, avec une humeur de pitbull à qui on viendrait de marcher sur la queue.


Un autre café et une bonne douche devraient m’apaiser un peu. Enfin, c’est ce que j’imagine. Je suis ce genre de femme qui se trouve plutôt intelligente, mais qui néanmoins parvient à boire la tasse sous la douche. Si, je vous certifie que c’est possible ! Quand on ouvre la bouche sous le jet et qu’on met la tête en arrière ! Et parfois, je réalise même l’exploit suprême de me mettre du savon dans les yeux et de m’étouffer d’eau chaude en même temps. Rien de tout cela aujourd’hui. Sauf quand je mets la tête en arrière et que j’aperçois une araignée grosse comme une soucoupe juste dans l’angle au-dessus de moi. Elle vibre sur sa toile. Les vapeurs d’eau chaude doivent l’énerver. Je suis tétanisée. Je coupe néanmoins les robinets le plus lentement possible sans quitter des yeux l’abominable bestiole, persuadée que celle-ci va me sauter dessus et je me coule hors de la douche, à demi savonnée.

Araignée du matin…ça continue bien !

J’entrebâille la fenêtre. La buée m’empêche de me voir dans le miroir. C’est peut-être mieux, car si en plus de me sentir comme une vieille tortue, j’ai aussi la même tronche fripée ça ne va pas arranger mon humeur. À la seconde où la fenêtre à oscillo-battant s’entrouvre, l’alarme stridente de la maison retentit. Mon mari l’a réglée tellement fort qu’on l’entend dans le hameau voisin qui est à deux kilomètres. Déjà effrayée par la mygale dans ma douche, je reste paralysée durant quelques secondes. Puis j’attrape une serviette que j’enroule vite-fait autour de mes hanches et, me rue, dégoulinante, hors de la salle de bain. J’attrape au passage les pincettes en fer forgé du poêle et les brandis devant moi telle Jeanne d’Arc devant les Anglais. Je réalise au même moment que c’est moi qui ai enclenché l’alarme partielle de la maison quand mon mari est parti. Je me suis fait peur toute seule. Non seulement les fées de la joie ont déserté mon cerveau, mais j’ai des neurones qui ont court-circuité. Je parviens néanmoins à me faire rire. Un rire nerveux.

Lavée, caféinée et enfin habillée, je m’installe à mon bureau. D’une humeur « baby-blues » et sans un milligramme de créativité, j’opte pour la relecture et la correction de mes écrits. Mon PC est d’une lenteur d’escargot malade. Cela fait un certain temps qu’il est mou et qu’il beugue constamment. Je décide de le réinitialiser (c’est bien le jour) ! La réinitialisation se déroule parfaitement bien ; j’ai pris soin de sauvegarder au préalable, tous mes fichiers sur un disque dur externe. Mon PC redémarre. Perplexe, je patiente devant l’écran. La pression monte car cela me semble interminable. Des messages énigmatiques apparaissent alors, tels que « réparation automatique n’a pas pu réparer votre PC » ou encore « le fichier de configuration de démarrage Windows ne contient aucune information ». Mon PC se fout de ma gueule dans un charabia qui ressemble à du français. Puis je comprends qu'il est devenu incapable de retrouver Windows. Il est débile. Je le maudis et je me maudis. J’ai soudain envie de pleurer, mais je parviens à rester zen. Au bout de deux heures de recherches et d’essais infructueux sur Internet, une rage destructrice m’envahit. Je me dis qu’avec un marteau, je lui réglerais bien son compte à cet engin démoniaque. Exaspérée, j’appuie sur le bouton de démarrage pour l’éteindre, le mettre en veille, enfin pour ne plus voir ses messages incompréhensibles, mais récalcitrant, il résiste, refuse de s’arrêter. Furieuse, j’arrache le cordon d’alimentation et je claque la porte de mon bureau.

Je ne travaillerais pas aujourd’hui, mais un violent besoin de me défouler se fait ressentir. Le ménage est fait, rien à mettre dans la machine à laver. J’opte pour déballer, enfin, le nettoyeur haute pression dont j’ai fait l’achat, il y a un mois. Je n’ai pas encore pu l’utiliser, car ce Printemps 2021 se prend pour l’Automne ! À moi, les margelles de la piscine, la terrasse, les pas japonais, l’auge en pierre, les murs extérieurs. Nettoyer va me vider la tête, c’est parfait. Miracle tout fonctionne. Après avoir monté l’engin et mis en place tous les branchements, dérouler des mètres de rallonges électriques, je m’attaque à la bâche de la piscine. Puis j’enchaîne presque sans m’arrêter. C’est ludique et satisfaisant. Je commence à me détendre. Je fais une mini-pause sandwiche à midi et je reprends avec fougue. Cette fois, je m’attaque à la terrasse qui longe la façade sur toute la longueur. Tout y passe, le sol, les murs, les stores. Je suis trempée de la tête au pied, j’ai les épaules en feu, mais je suis ravie du résultat. Au bout de quatre heures je m’arrête car je suis fatiguée mais enfin détendue. Je range le matériel et remets tout en place. J’ai mérité de nouveau une bonne douche, mais avant une bière bien fraîche. Quand j’ouvre le réfrigérateur, je m’étonne que la lampe intérieure ne s’allume pas. Je teste alors plusieurs interrupteurs de la maison. Aucune lumière ne jaillit. Intriguée, je vais ouvrir l’armoire du compteur qui se trouve sur la terrasse devant la maison. Je constate que le général a disjoncté. J’essaie de le réenclencher, en vain. Je ne comprends rien. Enfin, je n’ose comprendre. Je remarque que la porte de l’armoire du compteur est un peu mouillée, puis mon regard se pose sur la prise électrique extérieure qui se trouve en bas du mur. Tout à coup, une multitude de petites lampes illuminent mon cerveau. J’ai noyé la prise ! J’ouvre le clapet qui la recouvre et de l’eau en sort. Je n'ai jamais été très douée en sciences physiques, mais j’ai tout de même conscience qu’électricité et eau sont totalement antagonistes.

Cette fois, j’ai mon compte et je vais m’effondrer piteusement dans le canapé comme une enfant qui a fait une énorme bêtise. Mon mari va mettre plus d’une heure à réparer ma connerie — la prise est normalement étanche, croit-il bon de me préciser — il va devoir tout démonter et sécher une par une toutes les petites pièces.


Moralité, je n’ai besoin de personne pour saboter ma journée. Je possède cette capacité, ce pouvoir hors du commun à me la saboter moi-même ! C'est tout de même un pouvoir de merde et s’il existait un championnat du monde de la journée pourrie, j’en serais le porte-parole !


Il y a des jours comme ça où je me fatigue moi-même.

.

A suivre….





Adage Loi de Murphy :

« S'il existe au moins deux façons de faire quelque chose et qu'au moins l'une de ces façons peut entraîner une catastrophe, il se trouvera forcément quelqu'un quelque part pour emprunter cette voie. » [Edward A. Murphy Jr.]


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