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Photo du rédacteurFlorence Clémente

De Marie à Marie

Enfance et Jeunesse à la Ferme de Layes


Extrait récit autobiographique par Mireille Meunier



Une fois les foins rentrés, pas le temps de se reposer, car l’été était déjà là. Le soleil embrasait les chaumes de ses rayons ardents. La chaleur était parfois suffocante quand on arrivait à « Spajard ». Le champ étalait à perte de vue ses épis safranés ondulant sous la brise brûlante. Cinq hectares d’un seul tenant ! Un « Sahara » à moissonner.

Marie avait préparé la bâle* qui contenait notre repas de midi composé le plus souvent de saucisson, de fromage et de chocolat. Léon avait aiguisé sa faux à l’aide d’une pierre allongée qu’il portait toujours sur lui dans un boitier fixé à sa ceinture. Il fauchait à la main tous les contours et les passages pour les bœufs, pendant que nous façonnions les gerbes avec une javelle*, un lien de paille utilisé pour les attacher. La moissonneuse-lieuse tirée par nos bœufs prenait ensuite le relais ; elle fauchait et attachait les épis ensemble pour former une gerbe.



Je dus apprendre à lier les bœufs, c’est-à-dire à les attacher à deux en posant le joug* sur leurs fronts. Cette opération nécessitait qu’ils restent parfaitement alignés, sans bouger, puis je passais la courroie, l’entrelaçant pour que le joug reste bien en place entre les cornes. J’appréhendais toujours, car les bœufs étaient immenses par rapport à moi, petite et fluette. Pourtant, outre leur taille impressionnante, leur résistance à l’effort et leur puissance de travail, ils étaient très dociles. Lorsque l’attelage se mettait en branle, mon père se juchait à l’arrière pendant que l’un de nous activait les bœufs à l’aide de l’aiguillon*. Très souvent, les ficelles cassaient. Mon père jurait, tempêtait, réparait et le travail reprenait. La machine n’était plus toute jeune. Parfois, quand je plongeais la main au sein d’une gerbe pour la positionner en bornet*, une vipère surprise et furieuse d’être dérangée, me provoquait une peur bleue. Je me retenais de hurler et reprenais le travail sans m’émouvoir outre mesure.


La météo n’était pas toujours clémente pour les moissons et je me souviens d’un été assez pluvieux où la besogne fut particulièrement pénible. Durant des jours, je dus ouvrir les gerbes une à une pour qu’elles puissent sécher à l’intérieur. Une partie des grains avaient déjà germé. En galoches*, galopant de gerbe en gerbe, j’avais les mains râpées et les jambes écorchées par les tiges coupantes. Si l’été était chaud et ensoleillé, la moisson durait un bon mois entre la coupe, le liage des gerbes, la mise en bornet* et le temps de séchage puis le chargement des gerbes, les allers-retours à la ferme au rythme des bœufs et la confection des mailles* et des maillards*. Les beaux bouquets de céréales parfumés étaient transportés sur un char tiré par les bœufs. Ils marchaient de leur pas de bœufs, sûr et tranquille, guidé par Marcel ou moi, entre les rangées de bornets* pendant que deux hommes jetaient les gerbes sur le char à l’aide d’un fourchon*. Léon se chargeait de faire la charrée*. Il mettait un point d’honneur à ce qu’elle soit impeccable, entrecroisant les gerbes avec soin, pour qu’elles ne glissent pas et les montaient le plus haut possible. Ensuite, tel un marin arrimant au port, il lançait une lourde corde, la soie* par-dessus le chargement de l’avant vers l’arrière pour le sangler. Léon avait un don pour la construction de ses charrées ; il en était terriblement fier et cela faisait de lui un homme estimé et respecté de tout le voisinage. Le travail, le travail bien fait suffisait à son bonheur et il aimait apercevoir dans le regard de ses voisins ou de ses amis comme une sorte d’applaudissement silencieux lorsqu’il passait devant eux avec ses remarquables charrées*.


À la fin de journées harassantes, il fallait encore arranger toutes ces gerbes dans l’attente de la période de battage. Un homme jetait les gerbes sèches du haut du char à mon père qui les disposait ensuite sur le sol, en rond pour les mailles* et en rectangle pour les maillards*. Odette, Marcel ou moi devions lui passer les gerbes une par une. Au fur et à mesure les mailles* prenaient de la hauteur, rétrécissaient et finissaient en pointe. Ils étaient si hauts et si larges qu’il fallait une grande échelle pour en descendre. C’était dangereux et bien sûr, personne n’était attaché ; il n’y avait aucune sécurité ; je n’ose pas imaginer l’horrible chute si un des barreaux avait cédé ou si nous n’étions pas assez vigilants. Je me souviens de la peur que j’avais lorsque je descendais de cette échelle ! Qu’il vente ou qu’il pleuve, les meules, parfaitement construites ne bougeaient pas d’un millimètre et passaient ainsi la fin de l’été.


L’heure n’était pas encore à l’endormissement hivernal ; les mailles* et les maillards* disposés sur l’aire de battage* attendaient sagement le moment de la machine à battre*. C’était un événement ! Toute cette période avait des allures de fête pour nous les enfants. L’effervescence régnait dans la ferme durant plusieurs jours d’affilée, car environ une trentaine de personnes y prenaient part. Plusieurs jours avant le commencement, on tuait alors poules, poulets, canards, on épluchait des kilos de haricots et de pommes de terre pour les grandes tablées à venir. Marie prévoyait de grosses quantités de nourriture en vue des trois repas journaliers qu’elle devait servir aux hommes affamés par le dur labeur physique souvent exécuté en pleine chaleur. Pour hydrater tout ce petit monde, Léon nous abreuvait de son vin, enfin de la « piquette » coupée d’eau issue de sa vigne qui produisait un vin au goût typique. J’aimais beaucoup porter à boire à tous les moissonneurs ; je devais m’y rendre plusieurs fois par jour et c’était un moment agréable, l’occasion de faire une pause et de souffler un peu. Les gars suants et couverts de poussière plaisantaient, riaient, chahutaient dans le vacarme assourdissant des rouages et des courroies de la batteuse. Encore plus sollicités que d’habitude ma sœur, mon frère ou moi faisions d’interminables va-et-vient pour aider à installer les tables, faire la vaisselle et bien sûr continuer à s’occuper des vaches qui pâturaient et qu’on devait ramener deux fois par jour pour la traite sans oublier de soigner tous les autres animaux.



Extrait récit autobiographique De MARIE à MARIE par Mireille Meunier en collaboration avec Florence Clémente - Décembre 2021


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