Télé bois de lit
Extrait de la biographie de Martine Athias-Renard
Quand j’étais petite je ne rêvais pas de prince charmant, je ne rêvais que d’une chose c’était de foutre le camp. Je n’avais qu’un seul souhait, celui d’aller habiter chez ma marraine. Bien que celle-ci ne soit pas une bonne fée, mon souhait fut en partie exaucé le jour où mon grand-père mourut.
Le ciel commença de s’éclaircir pour moi à partir de cet instant. C’était le 18 avril 1971. J’avais dix ans et mon printemps arrivait enfin. J’étais en train de jongler dehors avec mes trois balles, quand mon père arriva au coin de la maison et me lança brutalement « Arrête de jouer, le grand-père est mort » ! Ce à quoi je répondis « Tant mieux » ! Ce fut plus fort que moi. Le cri du cœur ! Il m’attrapa, chopa ma sœur au passage et nous dit d’un ton sec : « Maintenant, vous allez embrasser le grand-père pour lui dire au revoir ». Une espèce de répulsion s’empara alors de moi et je restai bloquée dans la cuisine, agrippée de toutes mes forces à la maie à pain. Rien n’aurait pu m’en arracher. Je ne voulais pas y aller. Je ne voulais pas m’approcher du vieux, mort, et encore moins lui frôler la joue. Par chance, mon cousin Alain se trouvait là et c’est grâce à lui que j’échappais à ce devoir funeste. Mon père devait sans doute être un peu accablé, car il n’insista pas sur mon insubordination pourtant passible d’une bonne punition. Je n’avais aucune envie de souhaiter bon voyage au vieux alors que je pensais bon débarras ! Un bourreau de moins c’était forcément de la Télé bois de lit en moins ! Ma marraine est peut-être finalement une bonne fée et elle dut agiter sa baguette ce jour-là. Je me retrouvai chez ma grand-mère vers laquelle on m'avait envoyée pour ne pas qu’elle reste seule. Je ne bénirais jamais assez le ciel pour cela.
Une nouvelle vie douce et agréable commença pour moi. Que n’aurais-je pu naitre avec une mère telle que ma grand-mère ! Chez elle, je n’avais plus peur, je me sentais en sécurité, je me sentais bien. J’avais hâte de la retrouver quand je rentrais de l’école. Tous les soirs, nous avions le même rituel, on jouait aux petit-chevaux. Elle gagnait souvent, car elle trichait pas mal, mais elle était si gentille que je lui pardonnais volontiers. On écoutait Tino Rossi, Sacha Distel et Joe Dassin. Chez elle, il y avait la télé ce qui n’est pas anodin, car tous les foyers n’en étaient pas encore pourvus à cette époque. On regardait La Piste aux Étoiles avec ravissement. Dans sa toute petite maison, elle possédait une pierre d’évier ; commodité qu’il n’y avait pas partout à la campagne. Elle disait : « Toutes les semaines, on doit se laver à fond ». Alors elle me faisait déshabiller pour que je me récure de la tête aux pieds. Tout ce que je pouvais laver moi-même, elle me laissait faire. Elle me frictionnait ensuite le dos à l’eau de Cologne. Puis elle se déshabillait entièrement sans aucune gêne et faisait sa toilette. À mon tour, je lui frottais le dos. On prenait soin l’une de l’autre. C’était une femme gentille et aimante. Elle me cajolait, me prenait sur ses genoux. Quel bon souvenir je garde d’elle ! J’aimerai tant qu’elle soit encore près de moi. Elle m’a aussi appris beaucoup de choses comme danser. C’est elle qui m’a appris à danser la valse. « Je vais te montrer, disait-elle, puis tu vas danser comme moi je fais ». On mettait la musique puis on valsait toutes les deux. Je me souviens qu’elle disait souvent « Tu sais ma fille, la vie c’est comme une tartine ; d’un côté il y a de la confiture et de l’autre de la merde. Tout dépend de quel côté tu croques dedans chaque matin » ! Elle était très croyante et superstitieuse. Elle priait souvent et récitait des neuvaines régulièrement. Lors de la Semaine sainte, il ne fallait jamais laver les draps du lit. Cela signifiait, selon elle, laver son linceul et qu’il y aurait forcément un mort dans la famille la même année.
Je suis restée vivre avec elle de l’âge de dix ans jusqu’à mes treize ans. Je ne sais pas si cela arrangeait les affaires de mes parents de moins me voir, mais en ce qui me concerne cela arrangeait bien les miennes. Ce temps béni passé chez ma grand-mère a illuminé ma vie. Chaque matin, je me rendais à l’école puis je la retrouvais pour le déjeuner chez mes parents. Chaque soir, je la rejoignais chez elle (...)
Télé bois de lit - Récit autobiographique par Martine Athias-Renard en collaboration avec Florence Clémente - Septembre 2022
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