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C'est mon histoire

Photo du rédacteur: Florence ClémenteFlorence Clémente


Il y a quelques années, lors d’un dîner entre amis :

— Tu fais quoi maintenant dans la vie ? me demanda Kellen.

— Je lis des livres, répondis-je en riant.

— Tu travailles dans l’édition ? reprit-elle sérieuse.

— Ben non.

— Lire des livres c’est pas un métier me répondit-elle en humant son verre de Nuits-Saint-Georges.

— C’est bien dommage. Il y a bien des gens qui les écrivent ; pourquoi pas d’autres qui les lisent ?

— Tu devrais écrire, rajouta-elle plus gravement.

— Comment-ça ? demandais-je un peu fort pour couvrir le brouhaha ambiant.

— Eh bien, raconter tout ça, raconter notre histoire, dit-elle en balayant d’un geste l’ensemble de notre tablée.

Je la regardais sceptique et un peu éberluée par ce qu’elle venait de dire. Je n’étais pas écrivain. Elle reprit, les yeux un peu embués et la main toujours agrippée à son verre de vin :

— Tu connais bien ce milieu, tu nous connais bien, je suis sûre que tu es capable de nous raconter. Puis elle détourna la tête comme s’il ne s’était rien passé.


Lire n’est toujours pas un métier. Le désir que l’écriture le devienne est de plus en plus puissant de jour en jour même si je doute à tout bout de champ. Je doute de tout. Tout le temps. Sauf de mon désir qui lui est permanent, insistant. Il vagabonde dans ma tête jour et nuit.


Le manuscrit de mon premier roman est né il y a plusieurs mois. Depuis, je suis bloquée comme tétanisée. Une sensation bizarre et une petite voix persistante qui me chuchote que je peux faire mieux, que je dois faire mieux. Le réécrire ? Je refais les textes dans ma tête, j’imagine de nouveaux passages, j’affine, je peaufine dès que l’insomnie me réveille ou lors de trajets en voiture. Je suis bloquée parce qu’en ce moment mes émotions le sont aussi et peut être parce que je ne suis pas aussi satisfaite que je devrais l’être.


J’essaie alors de me souvenir pourquoi j’ai écrit ce roman. Quelle force intérieure incroyable m’a fait courber la tête durant de longs mois sur mon écran. Quelle énergie s’est emparée de ma main pour me faire bleuir des pages et des pages, réécrire un paragraphe dix fois, chercher un titre durant des semaines ?


Le feu était là il n’y a pas si longtemps. Les mots que je pose à l’instant sur cette feuille me prouvent qu’il n’est finalement pas mort. Ecrire ranime soudain mon envie comme on ranime des braises à peine rougeoyantes ou comme on ranime un blessé…

Ai-je une raison d’écrire ? De poursuivre ce que j’ai commencé ?

Ne pourrais-je en cet instant me contenter que de lire comme je l’ai toujours fait depuis l’âge de sept ans lorsque l’on m’a mis entre les mains ce livre intitulé « Au pays bleu » ?

Cette envie de lire, d’avaler des pages et des pages de roman. Des livres de plus en plus longs et volumineux. Ce désir qui s’est transformé en addiction depuis que j’ai lu à l’âge de quinze ans mon premier Zola « L’Assommoir » ; un choc littéraire.


Je ne savais pas que j’avais envie d’écrire.

Je ne savais pas que je pouvais écrire.

Je ne savais que j’étais capable d’écrire.

Je ne savais pas que je saurais écrire.


Je me découvre en écrivant. J’apprends à me connaitre car je ne me connais pas tant que ça. Pourtant j’aime être seule avec moi-même ; ma propre compagnie m’est agréable. Quand je suis dans ma tête avec toutes mes pensées mêmes les plus obscures, je me sens bien. L’écriture me pousse à aller au fond de moi, à cheminer intérieurement. C’est un travail d’introspection profonde. C’est troublant.


Il y a quelques années, un jour que j’étais seule et la maison silencieuse, les mots ont jaillis tout seuls du bout de mon stylo. J’ai commencé d’écrire des petits bouts de texte, des sensations, des souvenirs, de tout et n’importe quoi, des débuts d’histoires. De temps en temps, je relisais, corrigeais, en rajoutait. Ce n’était pas très suivi. Deux ans plus tard, j’ai relu toutes ces petites productions et au fur et à mesure je me suis rendue compte que je pouvais dire, exprimer tout ce que je voulais à travers l’écriture. C’est comme si une autre partie de moi s’était emparée du stylo.

Libre !

J’étais libre.

Enfin je me libérais d’un truc, je ne savais pas de quoi.

Aujourd’hui je ne sais toujours pas et peut être ne le saurais-je jamais. Mais ce n’est pas le plus important. Seule la sensation que j’éprouvais en écrivant m’obsédait. Je voulais la retrouver, la revivre, la développer, la cultiver à tout prix.


En 2013, j’ai rencontré l’écrivain Erwan Larhrer. L’émotion a été si vive qu’elle m’a surprise moi-même quand je lui ai dit que son roman « L’abandon du mâle en milieu hostile » était le roman que j’aurai voulu écrire. Ce n’était pas de l’audace de ma part, j’avais juste le cœur dans la gorge. Je n’étais qu’émotion. Les larmes sont montées aussi vite qu’une rivière en crue contenues par les bras d’Erwan qui se sont refermés autour de mes épaules. Il avait ressenti la violente émotion intérieure que j’étais en train d’éprouver. Ce fut le moment du déclic, de la révélation, du je voudrais être là avec Erwan et les autres et faire partager cette folle aventure de l’écriture.


Alors oui il y a mille raisons d’écrire. Je n’en ai aucune ou alors j’en ai mille. C’est encore un peu mystérieux pour moi. Ecrire pour arrêter le temps, cela pourrait être l’une des raisons.


C’est le moment. Allez ! Je me lance ou plutôt je me relance. De nouveau je plonge éperdument dans la grisante euphorie de l’écriture. La motivation, l’envie, le désir me submerge une fois de plus.


Je doute toujours.

Mais maintenant j’écris comme je respire.

Et je pense alors j’écris.


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