Le Serviteur
- Florence Clémente
- 8 mai
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 mai
Extrait du livre autobiographique de Noël Piroux : Mémoires d'un enfant de Pirajoux

[…] En 1989, au moment de ma prise de poste, la commune comptait un peu plus de deux cent quatre-vingt-dix habitants et le budget de l’année avait déjà été voté. En conséquence, les actions définies devaient être menées à bien. Par la suite et pendant de nombreuses années, lorsque j’avais quelque chose à proposer ou à décider, je me posais toujours cette question : « Comment aurait-il fait ? », en pensant à mon prédécesseur. Je m’en remettais toujours à lui bien qu’il ne soit plus là. Petit à petit, et très sérieusement, j’endossais le rôle du maire, je prenais possession des lieux et je faisais ce qu’il y avait à faire.
Un maire s’occupe de presque tout dans un petit village. Les adjoints secondent le maire, mais chaque adjoint n’a pas une mission précise comme c’est le cas dans les grandes villes. Il faut être un peu sur tous les fronts, être polyvalent. […] Quand l’un des administrés vient demander quelque chose au maire, celui-ci doit forcément être au courant et doit être en mesure de lui répondre. La proximité avec les habitants est essentielle. Aujourd’hui, les choses sont un peu différentes, je suis à la fin de ma carrière d’élu, et les adjoints prennent de plus en plus d’initiatives. La transition a d’ores et déjà commencé.
Un stagiaire qui travaillait à la mairie m’avait, un jour, posé cette question : « Comment conçois-tu le rôle de maire ? ». Pour ma part, je considère que le maire est un serviteur, c’est quelqu’un qui est au service des habitants et de sa commune, même s’il a décroché le premier rôle. « Ah ! Ben tu ne vois pas les choses comme certains maires qui se considèrent comme le patron ou le shérif du village », m’avait-il répondu. Bien sûr, il y a cet aspect d’officier de police judiciaire avec cette possibilité de prendre des arrêtés pour réglementer la circulation par exemple, mais ce n'est pas uniquement cela le rôle de maire. C’est aussi présider les réunions du conseil municipal, c’est orienter les choix, arbitrer si nécessaire. C’est faire prendre des décisions aux conseillers et ensuite les mettre en œuvre, les faire appliquer. De fait, le maire est un exécutant, mais il n’est pas le décideur absolu. Souvent, on m’a dit : « C’est bien toi le patron ? ». Mais pas du tout ! Je ne considère pas qu’un maire soit un chef ou un patron. Le maire propose des actions. Il y a ensuite discussions. Puis le conseil municipal débat et décide. Et c’est seulement après que le maire fait exécuter les décisions du conseil. C’est ainsi que cela fonctionne. Le maire est le premier maillon de l’État, une présence indéfectible, jour et nuit, tous les jours de la semaine, dimanche y compris. C’est en quelque sorte le veilleur du village.
Je me définis plutôt comme quelqu’un de conciliant. Je ne crois pas avoir beaucoup pris de décisions qui ne fassent pas consensus au sein du conseil municipal durant toutes ces années. Généralement, si un ou plusieurs conseillers n’étaient pas d’accord avec la majorité, nous prenions le temps d’échanger et d’expliquer. Je tentais toujours de convaincre et j’appréciais qu’au bout du compte tout le monde tombe d’accord et vote dans ce sens. Parfois, il m'est arrivé de hausser le ton et même de sortir de mes gonds, mais j'ai toujours essayé de me contenir, car par la suite je l'ai regretté et je pense qu'on arrive mieux à faire comprendre les choses en restant calme.
Le maire d’un petit village est très sollicité par les habitants et bien souvent, on faisait appel à moi pour des choses qui n’étaient pas de mon ressort. Généralement, il s’agissait de personnes âgées qui me consultaient pour des tracasseries administratives et pendant que j’essayais de leur trouver des solutions, elles se confiaient à moi. J’avoue être un homme très bavard qui a une fâcheuse tendance à l’indiscrétion, toutefois en prenant mes fonctions à la municipalité, j’ai dû apprendre à mettre de côté ce petit travers, par respect pour mes concitoyens et pour tout ce qu’ils venaient me confier. En tout état de cause, j’ai toujours fait du mieux que je pouvais pour accompagner, soutenir et servir. Il arrivait que Jacqueline me reproche ma trop grande disponibilité, mon engagement un peu trop fort qui débordait très largement sur ma vie de famille, mais je ne savais pas dire non. J’estimais que mon statut ne me le permettait pas.
Je me devais d’être présent, d’écouter et surtout d’entendre. C’est peut-être la plus grande qualité d’un maire, la plus importante d’ailleurs que celle de savoir écouter. Dans un deuxième temps, c’est essayer d’apporter une solution ou des conseils quand bien même cela n’est pas de notre ressort. Dans des temps très anciens, le maire comme le curé, l’instituteur, le notaire ou le médecin, étaient considérés comme les notables du village, des personnalités respectées et respectables, des gens connus pour leur utilité sociale. Aujourd’hui, c’est souvent la personne auprès de laquelle on vient râler et se plaindre lorsqu’on n’a plus personne à engueuler. De nos jours, la tâche du maire n’est plus celle du notable qui gère en bon père de famille, mais celle d’un bâtisseur préoccupé d’un avenir toujours incertain. Happé par le quotidien, il doit sans cesse réfléchir au lendemain. Il s’occupe de petites choses et en réalise de grandes. Ses regrets sont permanents, ses moyens souvent limités, mais il avance, il édifie. Il assure la conduite d’une communauté qui change sans cesse, dans un contexte complexe. Et souvent, il peut se sentir bien seul face aux lois et aux divers règlements qui évoluent au fil du temps. C’est un chef d’entreprise, un magistrat, un homme politique, un confesseur.
Être maire, c’est aussi s’exposer, se surexposer aussi parfois. J’ai en mémoire cette phrase d’un ancien premier ministre, Laurent Fabius, qui avait dit : « Responsable, mais pas coupable ». Effectivement, c’est tout à fait ça. Un maire est responsable de tout. Si le cantonnier n’a pas rebouché le nid de poule au milieu de la rue et qu’un enfant à vélo est tombé et s’est blessé à cause du trou, c’est le maire qui est responsable même si c’est le cantonnier qui est coupable de ne pas avoir effectué la réparation.
De nos jours, les gens ne viennent plus aussi spontanément que dans le temps se confier au maire. Avec Internet, les problèmes administratifs en tout genre se règlent bien plus aisément. Les relations humaines et les démarches ne sont plus vraiment les mêmes et c’est un aspect de la fonction de maire qui a bien changé. […]
Florence Clémente | Écrivain-biographe | CVotreHistoire
Biographie publiée en mai 2024
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